Dans le sac à dos de ... Laurie

L’impro, c’est universel.

Mais oui mais tiens ça, comment, pourquoi ? Quand on pense théâtre ou impro, on pense tout de suite dialogues, donc langage, donc barrières linguistiques. 

C’est quelque chose qui m’a personnellement beaucoup frustrée, notamment pendant l’année que j’ai passée le sac sur le dos entre le Canada et l’Argentine. Après quelques ateliers au Québec, j’ai passé une année sans impro. L’accro en moi l’a assez mal vécu. J’ai réussi à aller voir une pièce de théâtre à Lima, au Pérou, parce que j’ai la chance de comprendre l’espagnol, mais sinon ça a été le désert théâtral/improvisationnel. J’étais profondément jalouse d’un ami français installé au Nicaragua, qui lui était accro à la salsa. Il avait commencé en Roumanie, et partout où il est allé, il a toujours pu trouver des clubs de salsa.

Je me disais, quelle chance ! J’enviais les passionnés de danse, de musique, de dessin ! Ils pouvaient non seulement pratiquer leur passion partout, mais ils avaient aussi accès à un moyen de communiquer, de partager, d’échanger avec n’importe qui, au-delà de la langue et des « barrières culturelles » (je mets des guillemets car ça donne l’impression que les différences culturelles sont infranchissables, j’opterais plutôt pour « pont » culturel, voire « passerelle » ou encore « canal »). 

Donc, me voilà frustrée. Quelques ateliers d’impro en Espagne où je me sentais complètement déconnectée, un en anglais au Canada ou je n’arrivais pas à me détendre, donc pas à jouer. Une catastrophe. 

Petit retour sur ces expériences :

Je suis arrivée pour trois mois de stage en Espagne, à Salamanca, en Mai 2014. Tout de suite je tombe sur le bon bar, qui propose tous les mercredis un « open mic » avec de la musique, de la poésie, et un groupe d’impro qui fait des mini spectacles. Ça deviendra mon rendez-vous hebdomadaire. J’en profite aussi pour leur demander si je peux rejoindre un atelier, et on m’oriente sur l’atelier universitaire (ouvert à tous et gratuit). Malheureusement, les périodes d’exam commencent, et nous ne sommes que trois (prof compris) pendant le mois de mai, puis ça s’arrête pour les congés d’été. De toute façon Salamanca se vide, il n’y a plus personne (c’est une ville très étudiante qui vit beaucoup au gré du calendrier scolaire). Ce qui m’a marquée là-bas, c’est que l’impro paraissait vraiment « naissante ». Il paraît que ça bouge plus à Barcelone ou Madrid. Un seul groupe semblait se produire sur scène, des comédiens professionnels qui pratiquaient l’impro depuis peu de temps. Coté spectacle c’était du cabaret, mais ils n’utilisaient que très peu de catégories, toujours les mêmes ! Quand j’ai parlé des catégories « classiques » avec lesquelles on joue en France, ils ne les connaissaient pas. Idem dans les ateliers, le prof avait peu d’expérience et chaque atelier semblait reprendre les mêmes exercices, comme si les autres possibilités d’exploration n’étaient pas encore « connues ». 

Le Canada c’était un peu plus tard, au début de ce voyage d’un an en 2016. J’ai d’abord participé à des ateliers « ouverts à tous » dans un petit théâtre de Montréal. Etrange car c’était un mix complet entre des grands débutants qui venaient pour la première fois et des improvisateurs plus expérimentés (les anciens) qui jouaient toutes les semaines. Expérience mitigée avec eux. La prof était très directive (elle interrompait l’impro pour dire « non, réponds-lui plutôt ça » ou « énerve-toi et sors ») j’avais l’impression qu’on écrivait une pièce de théâtre, que je n’étais plus la metteuse en scène de mes improvisations ! Comme j’avais un peu d’expérience, j’ai fait un spectacle avec eux un soir ou ils avaient besoin de « filles ». Probablement une des expériences les plus désagréables de ma vie. Je n’ai senti aucun partage avec mes partenaires. J’ai eu l’impression d’être balancée sur scène sans brief sur le spectacle et à la fin c’était « salut ». Après ça, je n’ai plus remis les pieds à l’atelier.

A la place, je suis allée dans un atelier anglophone dédié au Longform (libre et gratuit à nouveau ; c’était un peu une condition nécessaire pour moi car je restais peu de temps donc je ne pouvais pas m’engager dans des ateliers où il fallait payer une cotisation semestrielle par exemple). Là aussi, une expérience très mitigée ! Déjà, j’ai retrouvé une ou deux têtes rencontrées dans les ateliers francophones, et j’ai pu voir avec quelle facilité un Québécois (de Montréal en tout cas) passe de l’anglais au français sans problème … ce n’était pas mon cas ! Mais surtout, je n’avais aucune idée de ce qu’était le Longform à l’époque. Bien sûr, maintenant, ça commence à être à la mode en France et en Belgique, mais à ce moment-là, c’était un concept totalement nouveau pour moi. Je n’ai rien compris à l’atelier qui s’est révélé lui aussi très directif. J’ai mis ça sur le compte de l’anglais, mais avec le recul je comprends aussi que je n’avais aucune idée de ce qu’on faisait. 

Aujourd’hui, je fais de l’impro en Belgique (je n’ai profité de l’impro bordelaise que deux ans avant de m’expatrier), et je réfléchis beaucoup à cette question de l’universalité de l’impro. Bruxelles est une ville très internationale, où se côtoient les expats européens, les francophones, les néerlandophones, les ressortissants de pays non européens (notamment arabes, l’arabe est la quatrième langue parlée à Bruxelles après le français, le néerlandais et l’anglais). Bruxelles est un joli panachage des cultures, sur le papier, mais elle est extrêmement fragmentée. J’ai toujours eu l’impression qu’il y avait très peu de mélange en fait, même si toutes ces populations vivent dans des quartiers voisins. 

Par exemple, mes amis expats français continuent à se faire « deux bises » (au lieu d’une à la belge) et n’ont aucun ami belge. Mes amis belges francophones ne connaissent aucun néerlandophone (où sont-ils ?), et je ne vois aucun Bruxellois issu de pays non-européen à nos soirées. Pourtant, tout ce beau monde se croise, dans la rue, dans les bars, dans le métro. Mais la segmentation est palpable.

Coté impro, j’avais l’impression que c’était un peu pareil. Et petit à petit, j’ai l’impression que ça bouge. Jusque-là, je voyais : les ligues d’impro francophones, les ligues d’impro anglophones (pour les expats de la bulle européenne), des cours de théâtre en espagnol (pas d’impro). Et tout cela évoluant en cercle fermé. 

Aujourd’hui, j’ai l’impression que des ponts sont franchis. Les expats et les belges francophones jouent de plus en plus ensemble, notamment au théâtre L’improviste qui a ouvert l’an dernier. Celui-ci est d’ailleurs situé dans un quartier multiculturel (dont les habitants ne sont pas les étudiants et les expats européens qui sont les habituels consommateurs d’impro) et a envie de s’implanter dans la vie de son quartier, a fait des démarches pour ouvrir ses portes aux habitants du quartier, qui viennent de plus en plus nombreux découvrir l’impro. J’ai vu récemment passer un atelier d’impro multilingue qui permettait à tous de pouvoir jouer dans leur langue, ou sans, mais ensemble. Je vois des rencontres entre Flamands et Wallons, je vois des initiatives qui mettent en avant le corps et qui ne laissent pas la langue être un obstacle.  

Il reste tellement de chemin à faire ! Mais je me dis que l’impro va peut-être aider à décloisonner Bruxelles. Ou au moins à lancer la tendance. 

Alors, est-ce que l’impro c’est universel ? Oui, si on s’en sert pour échanger, pour se comprendre, pour se découvrir, pour faire péter les barrières. L’impro, comme nous le rappellent de nombreux spectacles sans paroles, se passe du langage et prend vie dans le jeu, dans l’échange entre partenaires, dans le regard. Oui, je crois que je peux faire de l’impro partout dans le monde, et que c’est justement ce challenge linguistique qui pourra me faire évoluer sans fin dans cette discipline en me forçant à communiquer autrement, à communiquer mieux, et à faire attention à mes partenaires de jeux, avec ou sans les mots. 

 

 

 

Charlotte Galliot